Entre l’artisan d’hier et le plasticien d’aujourd’hui, il y eut dans les années 50-70, des « artisans-artistes », dont une génération de céramistes artistes à part entière. Créateurs heureux d’inventer, d’expérimenter, de se confronter à la matière et au processus de création avec les ratages nécessaires et les hasards heureux. Au fil de l’expérience, ils suivirent leur inspiration, libres de changer de direction.
Gisèle Pinsard est un parfait exemple de cette génération. Pas d’exposition personnelle ni de production industrielle ; elle a enchaîné les réalisations, les pièces uniques ou de petites séries, répondant aux commandes, écoutant son plaisir de travailler à l’atelier, parfois avec un ami ou un enfant. Elle estampe les formes, en fait tourner certaines*, dessine puis émaille les décors, vide le four impatiente de découvrir le miracle de la cuisson.
Ses thèmes de prédilection sont :
– la nature : oiseaux, arbres, végétation,
– l’enfance : personnages «bonhommes » (on dénote chez ceux-ci l’influence de Fernand Leger qu’elle côtoyait chez ses parents. Il réalisa lui-même avec l’aide de Gisèle quelques fresques émaillées)
– les maisons : qu’elle rêve ou investit…
Par l’intermédiaire des architectes de son entourage à commencer par son mari, elle réalise en carreaux émaillés des fresques inspirées, signées «4 Potiers» et «Gisèle Favre» qui habilleront tympan, autels et baptistères de plusieurs églises, chapelles, couvents… Des Christ, croix, bougeoirs chandeliers, complètent l’œuvre sacrée pour cette architecture moderne et sont aussi vendus chez Cheret (rue Saint-Sulpice).
Les 4 Potiers réalisent des panneaux en lave émaillée pour des devantures comme celle du café « Le Pam Pam » à l’Opéra et aux Champs Elysées, des salles de restaurant dont le « Relais Bisson » des encadrements de vitrine. Ses carreaux émaillés d’inspiration botanique illustreront les rayons d’une pharmacie à Bricquebec ou encore la rampe colorée de l’escalier du Centre France-Amériques encore en place aujourd’hui (à vérifier).
Architectes et décorateurs sollicitent les 4 Potiers pour parer de carrelage émaillé les cheminées, sorties de leur rôle strictement fonctionnel pour devenir éléments décoratifs.
Jadis réservés à l’évier ou la salle d’eau, le carrelage dans les années 60 et 70 vient animer/décorer les halls d’immeubles, pièces à vivre, sur les tables, niches et cheminées, descendant un escalier ou habillant d’une frise un grand miroir…
Les émaux sont en vogue, bien colorés, aux motifs les plus divers, figuratifs ou abstraits, rivalisant avec les tableaux pour animer l’espace.
Les cuisines françaises s’ouvrent progressivement « à l’américaine » sur le séjour, et prennent des couleurs avec les carreaux de Gisèle Pinsard. Il lui faudra donc fabriquer un nombre impressionnant de carreaux émaillés à la main et tous différents, pour les nombreuses cuisines et salles de bain commandées aux 4 Potiers.
En outre, sa famille s’agrandissant, Gisèle doit créer toujours plus de vaisselle personnalisée, d’autant que les amis en demandent et les boutiques de cadeaux également.
Ajoutons au travail de cette créatrice, deux livres pour enfants signés Gisèle Favre « Pierre » et « Julie » (édition des Jumeaux- 1969) mis en image à partir des illustrations figuratives de ses carreaux de céramique et dédiés pour ses petits enfants.
*Ses principaux tourneurs furent les céramistes : klaus Schultze ; Dimitri (clown d’Ascona) ; Michel Lanos